Astérix tome 40 : L'Iris blanc
Plate-forme : Bande Dessinée
Date de sortie : 26 Octobre 2023
Résumé | Test Complet | Actualité
Editeur :
Développeur :
Genre :
Bande dessinée
Multijoueur :
Non
Jouable via Internet :
Non
Test par

Nic007


8/10

Scénario : Fabcaro
Dessin : Didier Conrad

La vigilance, Obélix en particulier sait en faire beaucoup. Par exemple, comme il l'explique joyeusement, il veille toujours à ce que les Romains reçoivent beaucoup de coups de poing. Mais d'une manière ou d'une autre, ce voyageur douteux du nom de Vicévertus ne l'entend pas de cette oreille - à peine ce gentil compagnon aux cheveux ondoyants et à la voix susurrante est-il arrivé dans le petit village gaulois qu'un changement s'opère chez les Gaulois, ce qui ne plaît pas du tout à Astérix. Le mot d'ordre est soudain la pensée positive, la durabilité, des chaînes d'approvisionnement correctes et des produits frais de la région chez Ordralfabétix, une enclume au son merveilleux chez le forgeron Cétautomatix, le vieux Agecanonix fait son jogging - et Bonemine confronte soudain son grincheux de mari Abraracourcix au fait qu'il ne remarque même pas ses magnifiques irisations et ses rayons. Les légionnaires romains, eux aussi, sont tellement gentils et doux qu'ils ne peuvent pas attendre de se faire à nouveau tabasser par les Gaulois et d'encaisser une "magnifique défaite", et Astérix finit par se rendre à l'évidence : quelque chose sent vraiment mauvais ici, et ce n'est pas seulement le poisson d'Ordralfabétix. Il a bien raison, car Vicéversus est envoyé par César, qui veut tenter une dernière fois de saper la combativité des Gaulois avec ses serments ésotériques. Cela réussit très bien, même un concert du très controversé Assurancetourix ne donne pas lieu à la bagarre habituelle comme Astérix l'avait prévu, mais à des manifestations de sympathie - mais lorsqu'Astérix chasse définitivement le charlatan du village, celui-ci sort son dernier atout : avec des mots doux, il attire Bonemine loin de sa patrie, à Lutèce, où son frère Homéopatix jouit de la vie chic et élégante à laquelle elle aspire aussi secrètement. Mais en réalité, Vicéversus veut livrer sa victime insoupçonnée à César, qui est également en route pour Lutèce. Mais nos Gaulois ont leur mot à dire : Astérix, Obélix, Idéfix et Abraracourcix sont eux aussi en route pour Lutèce...

On se doutait bien qu'à l'approche de la sortie de la quarantième aventure d'Astérix, les Gaulois seraient définitivement entrés dans l'ère moderne, qu'ils seraient devenus branchés. La surprise que nous réserve l'auteur Fabrice Caro sous son nom d'artiste Fabcaro n'en est que plus agréable : Astérix est enfin de retour. Et ce, dans toute l'étendue de son sens. Si les précédentes aventures de Jean-Yves Ferri (comme récemment "Le Griffon" ou le tome le plus réussi de Ferri "Astérix et la Transitalique") étaient bien sûr largement supérieures aux tentatives en solo d'Albert Uderzo, elles restaient néanmoins bloquées dans un sourire de sympathie - on voulait bien trouver ça bien, c'était toujours bien fait, mais le fantôme du tout-puissant Goscinny planait trop visiblement sur tout. Fabcaro réussit ici le tour de force, si tant est que cela soit possible, d'égaler les qualités inimitables de Goscinny : Astérix est enfin à nouveau subversif, critique envers son époque, humain - et incroyablement drôle. Car au lieu de suivre la tendance du woke, Fabcaro montre au contraire les effets absurdes de la bienveillance excessive et de l'éternel cercle autour de soi de la fameuse génération Z. Dans un merveilleux choc de phrases pseudo-ésotériques, que même la figure de proue des chercheurs de sens Paulo Coelho ne pourrait formuler de manière plus plate (particulièrement génial : "Un problème cesse d'en être un quand on réalise qu'il n'y a pas de solution" - ahhhhh oui), et le village gaulois incarnant la vitalité par excellence, Vicéversus fait tourner la tête de presque tout le monde : les légionnaires trouvent tout à coup les ordres "envahissants", on ne chasse plus les sangliers et on les apprivoise parce qu'on s'est mis au poisson (pêché localement, bien sûr) et aux céréales, et sur la place du marché du village gaulois, on trouve de la thérapie olfactive méditative chez Ordralfabétix, du tressage régénérateur et des ondes positives chez Cétautomatix.

Seuls Astérix, Obélix et Panoramix semblent immunisés contre les chuchotements du prétendu gourou, Astérix - qui espère encore au début que personne ne se laissera prendre par le "baratin insignifiant" - constatant la cruauté de toute la tendance "Nous dansons à travers le monde et sommes tous magnifiques" : "Nos amis ont perdu tout sens de la critique et de la résistance !". Le fait que le bonheur apparemment harmonieux impose à nouveau des normes et des contraintes moralisatrices est également constaté par Obélix, qui voit toute sa vie partir à vau-l'eau : "Dis donc, Astérix, tu crois qu'un jour nous allons nous disputer joyeusement, nous bagarrer et nous boucher les artères comme avant ? Tout ce que j'aime faire dans la vie, on me le fait payer" ! A cet égard, l'excursion à Lutèce est également merveilleuse, dans laquelle Fabcaro, dans un petit hommage aux "Lauriers de César", confronte le naturel des Gaulois à la décadence des citadins ennuyés qui, tels les meilleurs bobos, se laissent vendre n'importe quelle bêtise comme de l'art ("Banksix est tout simplement époustouflant !"), tandis que les Gaulois ne peuvent que s'étonner de la "nouvelle cuisine" et tenter en vain de se débrouiller avec les trottinettes à pédales à la mode.  Le débat politique très actuel n'est pas absent non plus : nos Gaulois sont bloqués dans un embouteillage parce que quelques militants se sont collés sur la route pour protester contre la déforestation de la forêt de Carnutes, ce qui provoque l'ire d'un citoyen : "Avec quoi allons-nous nous chauffer en hiver sans le charbon de bois de la forêt de Carnutes ?". Le verdict de Fabcaro à l'encontre de tout ce mouvement d'auto-circulation est sans appel : "Réveillez-vous !", lance Astérix à ses amis, quasiment un woke d'un autre genre, comme un retour à des valeurs peut-être anciennes, mais certainement pas mauvaises, comme le constate judicieusement Panoramix lors du banquet final : "C'est bien que tout le monde soit redevenu comme avant ! Entêtés, faillibles, irritables, hargneux, imparfaits, parfois à fleur de peau - tout simplement humains !"

VERDICT

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Cela faisait des décennies qu'Astérix n'avait pas été aussi politique, actuel, contestataire et conservateur dans le meilleur sens du terme. En plus du thème principal, il y a bien sûr un véritable feu d'artifice de gags qui fait que chaque page est remplie d'allusions (dans le train pour Lutèce, il faut faire attention à la distance entre les rails et le quai - ceux qui ont déjà pris le métro à Londres marmonnent encore aujourd'hui en dormant "mind the gap"), de plaisanteries (même les pirates deviennent brièvement doux) et bien sûr de noms merveilleux, comme par ex. par exemple le chef du camp Babaorum Sipilinclus ou l'acteur vedette Boxoffix, qui brille dans "En attendant Godos". Que Didier Conrad maîtrise jusqu'au bout le trait fin d'Albert Uderzo ne devrait plus surprendre, et cette aventure livre donc bien plus que ce que l'on pouvait espérer. Comme nous l'avons dit, Astérix est enfin de retour.

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