Réalisé par Lofty Nathan.
Ali (Adam Bessa, très expressif) revient dans la maison familiale à la mort de son père, où il reste un frère aîné et deux sœurs en âge d'aller à l'école. Bien qu'il ait annoncé avec assurance son projet de migration imminente, son frère lui confie les filles tandis qu'il saisit l'opportunité d'un emploi saisonnier dans la ville touristique de Hammamet. Pour Ali, ce sera une épreuve de faire face aux nécessités de la vie quotidienne et surtout d'éviter que même la modeste maison ne soit saisie pour les dettes laissées par son parent. Impossible de trouver un emploi régulier, le jeune homme devra donc s'enliser dans les dangers de la contrebande d'essence. La surdité des institutions et la corruption de la police qui dépouille les pauvres du peu qu'ils ont, éloignent toute perspective.
On en revient toujours au geste extrême de Mohamed Bouazizi en 2011, mais cette fois non pas en devenant le fusible de la révolution, mais en étant entouré d'une indifférence totale, comme en témoigne la scène finale, puissante et déchirante, avec des passants qui n'accordent même pas un regard au bûcher du désespoir. Les thèmes principaux de Harka le placent dans ce que l'on pourrait appeler un néo-réalisme arabe. Au centre, les problèmes et les injustices d'un État absent. Ou, lorsqu'il est présent, vexatoire dans ses relations avec la société civile, en raison d'un manque d'assistance et de soutien, et complice dans l'observation de la pauvreté rampante et des conflits sans intervenir, avec un détachement généré par une négligence substantielle. Le film de Nathan Lofty se déroule en Tunisie et rend parfaitement compte de ces dynamiques. Il les regroupe autour d'un garçon, Ali La progression dramatique du film le confronte à des situations de plus en plus urgentes, l'indifférence du système le pousse à l'exaspération et lui fait faire des gestes désespérés. Le décor est un montage d'intérieurs modestes alternant avec des extérieurs dominés par un climat asphyxiant qu'il doit traverser pour se rendre aux points de passage de l'illégalité. Dans un tel contexte, tomber dans les mailles de la délinquance n'a rien d'anodin et conduit à prendre des risques inévitables.
VERDICT
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Le réalisateur et scénariste Lotfy Nathan signe un drame social d'une efficacité redoutable sur les distorsions persistantes de la société tunisienne dix ans après le printemps arabe et sur la frustration des jeunes générations pour qui le seul espoir reste l'émigration vers l'Europe. Avec une approche à la Ken Loach et grâce à son talentueux protagoniste, il redonne de la dignité à la lutte quotidienne contre la misère.