Misère. Héritée ou imposée. Celle qui t’écrase au sol. Qui te pousse à devoir choisir le moins pire à chaque fois. Deviner s’il s’agit d’une vraie porte de sortie ou juste d’un bisou sur une amputation. Décider ce que tu portes seul et ce que tu acceptes des autres. Encore faut-il que les autres en aient quelque chose à foutre, hein. Dans « La dernière nuit d’Anne Bonny », tout part de là. La pauvreté qui asservit. Anne naît d’une union cachée, fille de servante, maîtresse du maître. En tant que bâtarde d’une famille isolée et précaire, son avenir de débrouille est tout tracé. Alors forcément, ça peut énerver et faire pousser la graine de la rébellion. Un petit coup de pouce du destin lui donnera l’estocade pour traverser la mer et changer de vie. Mais la plante insurrectionnelle va se développer, et l’amour la poussera dans les bras de la piraterie. C’est une autre forme de misère. Celle de l’impossibilité de l’avenir. De la certitude de la mort prochaine. Mais au moins, Anne s’y sent vivre, courir en pantalon et échapper à sa double condition de femme rebelle.

Anne Bonny nous raconte son histoire, car elle n’accepte pas le récit faussé d’un écrivain à succès. On la suit dans toutes les étapes de sa vie, et l’on dévore les situations qu’elle narre avec un poil de provocation, un sourire aux lèvres.  Alvi Ramirez et Claire Richard nous livrent un petit bijou graphique d’aventure féminine (pour ne pas dire féministe) qu’il est impossible de lâcher. On pourrait se dire que les siècles ont passé, que la richesse produite par les états a permis de stopper la misère et empêcher les gens de ne pas dormir dehors sous le déluge. Mais non, alors c’est à se demander si l’on ne devrait pas, nous aussi, revoir les bases de la piraterie.