Deux frères ont fondé une florissante station thermale. L’un est prêt à révéler le scandale sanitaire qu’il y a découvert. L’autre pas, il est maire de la ville et ne compte pas perdre ni son pouvoir ni ses acquis. Tous les coups seront dorénavant permis. De la santé ou de l'économie, que faut-il protéger prioritairement ? Un ennemi du peuple est une pièce sur la bravoure de ceux qui sont prêts à se lever et à défendre la vérité, même si, en conséquence, ils perdent tout et sont chassés de chez eux et de leur pays. Elle met également en lumière l'inconstance de l'homme, ceux qui savent que des mensonges sont proférés mais sont prêts à les laisser passer - soit par intérêt personnel, soit pour le "bien" de la communauté. Les volte-face sont légion dans cette pièce. Le docteur Stockmann est le plus courageux, refusant de se taire lorsqu'il découvre que l'eau de source locale est contaminée, menaçant ainsi le développement commercial - et la prospérité future - de Kirsten Springs pour en faire une station balnéaire où les malades peuvent se rendre et espérer se rétablir. Pourtant, malgré le soutien initial du jeune rédacteur en chef du journal local, Hovstad, et de l'éditeur Aslaksen, qui veulent publier l'affaire quitte à être damnés, la maire est une personne redoutable. Il intimide, menace (les individus, le journal et les entreprises locales), dissimule la vérité, met la communauté en ébullition et n'hésite pas à piétiner sa propre chair et son propre sang pour arriver à ses fins. Seuls sa fille Petra et le capitaine Horster soutiennent le bon docteur, même s'ils paient finalement un lourd tribut à leur loyauté. À la fin, alors que les pierres s'écrasent sur les fenêtres des Stockmann, le docteur murmure à sa femme Catherine : "Nous sommes tous seuls. Et il y aura une longue nuit avant le jour". Il ajoute ensuite : "Tu te bats pour la vérité et c'est pour cela que tu es seul. Plutôt déprimant.

Quelle belle couverture, soignée et élégante, une bonne mise en appétit ! Voici un dessinateur de talent, cette fois au service d’une interprétation de la pièce de Henrik Ibsen, dramaturge norvégien décédé en 1906.  Javi Rey nous offre un récit terriblement actuel. Lorsque deux frères font revivre toute une île grâce au développement du thermalisme, y a-t-il une place pour le doute ? L'intérêt collectif est-il une somme d'intérêts individuels ou peut-il dépasser cette somme d'individualismes ? De son dessin clair s'approchant parfois de la ligne claire chère à Hergé, à la colorisation vive, Javi Rey nous rappelle que la manipulation des esprits dépend moins de "la vérité" que du besoin de croire en ce qui nous rassure. A quelques encablures d'élections, ce type de texte est important, une invitation à observer qui nous parle et d’où surtout, un appel à décrypter et peut-être à ne pas trop vite désigner son "Ennemi du peuple". Du lanceur d'alertes au complotiste, la frontière peut vite se brouiller. Le récit peut surprendre d’où l’importance de rappeler qu’il s’agit d’une adaptation d’une œuvre du 19ème mais l’histoire (avec des personnages plutôt manichéens ) reste plus que jamais lisible et reflet d’une société où tout le monde n’a pas les mêmes valeurs ou principes . A lire sans modération.