Cet album est déroutant, avec son trou de part en part. Ce trou n’est pas une coquetterie, c’est même le ressort central de l’histoire, qui se révèle d’une inventivité étonnante. Pas facile en effet de rester cohérent sur 56 pages avec ce trou qui est un passage vers l’avenir dans les pages de droite, un passage vers le passé pour les pages de gauche. L’ensemble pourrait donner un récit forcé ou bancal, ce qui n’est pas le cas. Tout commence avec l’irruption d’un personnage bizarre dans le salon de Jérôme Bigras, banlieusard moyen, ce qui l’entraînera dans cette aventure farfelue. Jean-Paul Eid exploite parfaitement les possibilités offertes par le trou qu’il s’est imposé et par les jeux autour du voyage dans le temps. On trouve ainsi au fil des pages des personnages qui parlent à l’envers, des boucles temporelles, des ascenseurs pour aller d’une page à l’autre. Références et traits d’humour irriguent l’album. Jean-Paul Eid aime les défis et se fixer des contraintes qui l’obligent à la créativité.

Dans d’autres albums des aventures de Jérôme Bigras (et sa fidèle tondeuse à gazon !), il y a des pages à lire par transparence, des scénarios interactifs, ou encore des interventions du lecteur dans le déroulement du récit… Ici, le trou, pour déroutant qu’il soit au départ, est une vraie trouvaille, qui instille une atmosphère décalée et surréaliste. Il faut avouer qu’il y a longtemps que nous n'avions pas été surpris à ce point par un album ! A la première lecture, si on cherche d’abord à comprendre comment ça fonctionne, on se demande ensuite rapidement où l’auteur nous emmène et ce qui va se passer à la page suivante –  sans pouvoir anticiper du tout, ce qui n’est pas si fréquent ! Arrivé à la fin, on a envie de recommencer la lecture avec un œil nouveau et pour repérer toutes les subtilités qui nous ont échappée la première fois. A noter que cet album était déjà paru en 2011 avec une autre couverture.