"Voie de garage" nous plonge dans la vie de Paulin, un homme qui, depuis l'enfance, voue une passion obsessionnelle et exclusive aux trolleybus de Lausanne. Adulte, il consacre tout son temps à construire des trolleybus miniatures à partir de matériaux de récupération et à "faire le trolley" dans les rues, vêtu d'un uniforme de conducteur. Cette douce excentricité, tolérée par les habitants, prend un tournant dramatique lorsqu'une lettre anonyme réclame son internement pour trouble à l'ordre public. S'ensuit une bataille pour sa libération, soulevant des questions profondes sur la normalité, la différence et la place des individus marginaux dans la société. L'histoire est inspirée de faits réels concernant Martial Richoz, surnommé "l'homme bus" à Lausanne dans les années 1980.

Sophie Adriansen signe un scénario d'une grande sensibilité. Elle aborde avec délicatesse et intelligence des thèmes universels et toujours d'actualité : la définition de la normalité, l'acceptation de la différence, la stigmatisation de la marginalité et le rôle des institutions psychiatriques. L'histoire de Paulin, inspirée d'une réalité poignante, résonne en nous et nous pousse à une réflexion profonde sur notre propre rapport à l'altérité. Paulin est un protagoniste hors norme, mais profondément humain. Sa passion, qui pourrait être perçue comme une excentricité voire une folie, est présentée comme une source de bonheur et un refuge face à un monde qu'il ne comprend peut-être pas entièrement. Adriansen évite tout jugement hâtif et nous invite à considérer le monde à travers les yeux de Paulin, avec sa logique propre et sa sincérité désarmante. On s'attache inévitablement à cet homme simple et rêveur, dont la liberté est menacée par le regard normatif de la société. Le récit oscille entre la tendresse et l'indignation. On sourit face à la passion innocente de Paulin et à ses "trolleys" bricolés, mais on s'indigne face à la brutalité et à l'incompréhension qui mènent à son internement. Le rythme de la narration est maîtrisé, alternant des moments contemplatifs qui nous plongent dans l'univers de Paulin et des séquences plus dynamiques lors de la bataille pour sa libération. Le trait d'Arnaud Nebbache sert parfaitement le ton de l'histoire. Son style, à la fois simple et expressif, met en lumière l'humanité des personnages. Les expressions de Paulin, souvent mélancoliques ou rêveuses, sont particulièrement réussies et nous permettent de ressentir son monde intérieur. Le choix des couleurs, douces et parfois un peu désaturées, contribue à l'atmosphère à la fois douce et mélancolique de l'album. La représentation de Lausanne et de ses trolleybus, éléments centraux de l'univers de Paulin, est précise et pleine de poésie.