Supercanon de Philippe Girard est un roman graphique biographique qui s'inspire de la vie de Gerald Bull (dit Gerry), un ingénieur canadien obsédé par l'idée de construire un supercanon capable d'envoyer des projectiles à très longue distance, voire dans l'espace. Né en 1928 en Ontario, au Canada, son oncle lui a trouvé une place à l'Université de Toronto à l'âge de seize ans, tout d'abord en médecine. Bull a alors demandé un poste dans le nouveau cursus de génie aéronautique. Après avoir réussi un entretien, il a pu commencer ses études supérieures dans ce domaine à seize ans. Il obtint son diplôme en 1948, étudiant tout à fait moyen, n'ayant guère réussi à se distinguer durant ses études universitaires. Cependant, son énergie et sa passion lui permirent finalement d'intégrer l'Institut d'aérodynamique, où il étudia la conception de souffleries avancées. C'est durant ces années formatrices que Bull a commencé ses travaux ultérieurs sur le célèbre Supergun. Son objectif n'était pas seulement de lancer des projectiles dans la haute atmosphère, mais de les propulser si vite qu'ils pourraient atteindre l'orbite. Son idée était simple : il utiliserait un gros canon pour tirer un projectile à haute altitude, d'où il allumerait ensuite une fusée pour en augmenter encore la vitesse. Selon la personne à qui l'on s'adressait, le Supercanon était soit une technologie spatiale nouvelle et innovante, soit une arme de guerre si dangereuse qu'elle ne pouvait être tolérée. En fin de compte, les pouvoirs en place sont intervenus pour que nous ne le sachions jamais. Girard prend cependant des libertés avec la réalité, renommant son personnage Gerry et explorant son monde intérieur et ses motivations de manière plus romancée. 

La vie de Gerald Bull est une histoire hors du commun, mêlant génie scientifique, ambitions démesurées et les complexités de la géopolitique de la Guerre Froide et au-delà. Girard rend ce parcours captivant et accessible, même pour ceux qui ne connaissent pas le personnage. Plutôt que de se contenter d'une biographie factuelle, Girard choisit d'imaginer les pensées et les aspirations de Gerry. Son rêve d'utiliser ses canons à des fins pacifiques, comme l'envoi de courrier, contraste tragiquement avec leur utilisation militaire. Cette approche permet une exploration plus profonde de la psychologie du personnage et de ses contradictions. Le style graphique de Girard, une ligne claire élégante et expressive, sert parfaitement le récit. Les personnages sont bien caractérisés, et les scènes, qu'elles soient techniques ou plus intimes, sont claires et bien mises en scène. La narration visuelle est efficace pour traduire les émotions et l'évolution de Gerry. Le récit est bien construit et maintient l'intérêt du lecteur tout au long de l'album. Girard alterne habilement les moments de développement personnel de Gerry avec les événements historiques et politiques qui jalonnent sa vie. Le ton est souvent mélancolique, soulignant la désillusion progressive de l'inventeur qui finira tué à Bruxelles. Supercanon soulève des questions importantes sur la responsabilité des scientifiques et des inventeurs face aux utilisations de leurs créations. L'idéalisme de Gerry se heurte à la réalité cynique du commerce des armes et des intérêts politiques.