L'île Panorama (Panorama Toukitan) est un manga unitaire publié au Japon aux éditions Enterbrain. Ce monde n'est qu'une illusion, seuls les rêves de la nuit sont la réalité. L'île Panorama se déroule en 1926, la mort de l'empereur marquant la fin de l'ère Taisho. Hirosuke Hitomi est un écrivain de 38 ans sans le sou, inspiré par les œuvres d'Edgar Allan Poe. Son rêve récurrent (qu'il rapporte dans ses écrits) est celui d'un monde idéal et parfait, un jardin de paradis sur terre. Un jour, il apprend la mort prématurée - suite à des crises d'asthme - de Komoda, un condisciple de sa jeunesse à qui il ressemblait comme un frère jumeau, héritier d'une riche famille de province. Cela déclenche en lui, presque par hasard, un projet fou : prendre la place du défunt et réaliser - grâce à son immense fortune - l'Eden utopique sur Terre.  Hitomi planifie tout en quelques jours, de sa "disparition" par suicide à l'exhumation du cadavre qu'il remplace, en simulant un réveil de catalepsie. L'événement bouleverse la vie et la population locale. Accueilli entre scepticisme et joie par les proches, le rusé Hitomi parvient à en convaincre la plupart. Le plus gros problème est sa "femme" Chiyoko, dont il garde la distance et la froideur pour ne pas trahir sa véritable identité. Il commence donc à construire le prétendu paradis sur une île au large de la côte... en s'inspirant de récits de science-fiction, du classicisme grec, des somptueux jardins des villas européennes de la Renaissance, de merveilles naturelles, d'illusions qui éblouissent l'œil (il est intéressant de noter qu'il y a également une référence au parc des monstres de Bomarzo) et le peuple d'acrobates, de vestales et d'acteurs qui se consacrent au divertissement de l'aube au crépuscule. Jusqu'à ce que, une fois terminé, il le visite dans sa magniloquence avec sa femme, et le voyage ressemble plus à une reddition aux illusions humaines et aux péchés capitaux qu'à une ascension vers l'utopie.

Voici un autre volume très intéressant chez Casterman? En effet, qui se serait attendu à voir le maître du ero-guro (" érotico-grotesque ") japonais Suehiro Maruo s'attaquer à un seinen " traditionnel ", et comme si cela ne suffisait pas, tiré d'une œuvre d'un romancier japonais de renommée locale, Edogawa Ranpo. L'île Panorama est certainement une œuvre singulière, qui tente de combiner des idées plus artistiques/alternatives avec la structure/la mise en page d'un manga seinen classique, et c'est plutôt réussi. Le scénario est parfois étonnant, parfois dramatique, parfois visionnaire, mais il reste toujours dans le courant dominant. Des extrêmes de Maruo vus dans des bandes dessinées folles, il n'y en a aucune trace ici, mais la veine grotesque qui tente d'émerger est souvent perceptible, un certain malaise est visible sous la surface. Dans ses 280 pages, il peut parfois donner un sentiment didactique, mais à d'autres moments, il fait preuve d'une efficacité absolue et, surtout, cela se produit dans les derniers chapitres où il parvient à combiner surprise et puissance expressive. Graphiquement aussi, c'est un Maruo qui renonce à certains de ses excès visuels pour faire ressortir les qualités d'élégance et de raffinement ; le dessin est beau et très fonctionnel. Dans la partie finale sur l'île, il se surpasse, le décor est absolument somptueux.