Scénario : Nicolas Juncker
Dessin : Simon Spruyt
Couleurs : Frédérik Van Den Stock
Aujourd'hui, l'une des plus belles surprises du catalogue Le Lombard, ce sont les albums autour des confessions cavalières de Dragon Dragon. Cet officier français n'est pas un héros. Ni même un anti-héros. C'est le héros imparfait par excellence. Enfin, héros... C'est un bouffon, un opportuniste impitoyable, un fraudeur né et, surtout, une bête de sexe insatiable. Ou comme il le dit lui-même lorsqu'il est accusé par certains citoyens d'avoir violé la femme de quelqu'un, le mari de quelqu'un et le prêtre de la paroisse locale : "Ah non. Dragon Dragon ne viole pas ! Dragon Dragon prend et aime tout le monde, plein de passion et de feu", ce à quoi il est à nouveau matraqué par la foule en colère. C'est ça Dragon Dragon. Mais à chaque fois, l'homme s'en tire à bon compte. Dans la seconde partie, l'armée française délivre la Belgique - qui n'existe pas encore officiellement - du joug des Autrichiens. Pour récompenser le pays, les Français ne l'occupent que jusqu'à la tenue d'élections officielles. C'est le moment pour Dragon Dragon de se mettre en avant. Sur ordre de son mécène, le célèbre citoyen Danton, il dérobe au plat pays tous les tableaux emblématiques des maîtres flamands et les remplace par des contrefaçons de son camarade de bistrot. C'est un succès retentissant ! On les chérit enfin.
Le scénariste Nicolas Juncker (Seules à Berlin) adopte ici intelligemment l'approche de Lucky Luke et des Tuniques Bleues. Il part lui aussi d'une gravure historique existante et tisse ensuite une histoire fictive autour d'elle. Mais Juncker va plus loin. Après tout, son Blutch est Dragon Dragon. Son cheval Arabesque ne s'écroule pas docilement au début de la bataille. Non, Dragon Dragon tire une balle dans la tête de l'animal pour éviter une bataille sanglante. Avec Dragon Dragon, tout est dans l'ordre des choses. Et c'est un bonheur. L'un des plus grands talents de Flandre, Simon Spruyt (Le Tambour de la Moskova, Bouvaert Élégie pour un âne et autres), est à la plume. Les mémoires de Dragon Dragon est plus accessible que son œuvre solo, mais ne perd rien de sa tension. Le plaisir jaillit des pages. De plus, toute cette beauté est complétée par un dossier tout aussi amusant dans lequel, entre autres, la gravure entourant la trahison du général Dumouriez est commentée par Dragon Dragon lui-même. Il n'y a qu'un seul bémol. L'album se termine là où le suivant commencera déjà. Comme pour Spirou de Yoann et Fabien Vehlmann, cette annonce nous fait saliver pour la nouvelle histoire. Elle est aussi un peu en retrait par rapport à l'aventure en cours. Comme pour dire indirectement : " C'était moins bien, mais les prochains épanchements seront au maximum ". Cette annonce, aussi prometteuse soit-elle, n'est absolument pas nécessaire. Les souvenirs belges de Dragon Dragon sont formidables en soi.
VERDICT
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Dans un monde normal, il serait impossible d'avoir de la sympathie pour un lâche opportuniste et excité comme Dragon Dragon, mais les auteurs réussissent l'impossible. Dragon Dragon est le héros imparfait par excellence. Le summum de l'excellence.