La dernière publication de Joann Sfar, « Nous vivrons », est basée sur ses carnets de croquis depuis le pogrom du Hamas du 7 octobre de l'année dernière. Il s'agit d'une réflexion furieuse, perplexe et désabusée sur la montée de l'antisémitisme en Occident qui n'a fait que s'accélérer depuis ce jour, avant même que la guerre insensée d'Israël à Gaza ne prenne réellement son envol. Comme souvent chez Sfar, il s'efforce de concilier ses émotions avec une approche plus détachée et analytique. Il n'y parvient pas très bien. Il écrit qu'il a délibérément omis de traiter de manière plus approfondie l'histoire et la situation des Palestiniens pour se concentrer sur les Juifs et, dans une certaine mesure, sur les Israéliens (certaines parties du livre sont basées sur un voyage exploratoire en Israël). Mais les crimes de guerre et la tragédie de Gaza se cachent sous la surface du livre comme l'horreur croissante contre laquelle il est écrit. Des conversations imaginaires avec le père et le grand-père de Sfar, aujourd'hui décédés, qui étaient tous deux profondément impliqués dans la question israélo-palestinienne, apportent des nuances qui manquent au débat général. L'un des moments les plus mémorables est le souvenir de la conviction de son père quant aux revendications israéliennes et palestiniennes à un État : à quel point elles étaient les deux faces d'une même pièce.

Dans les carnets de Sfar, nous sommes en général très fan soit de ses beaux dessins à l’encre de Chine et à l’aquarelle, soit de ses longs textes et réflexions (même si nous n'arrivons pas toujours à lire son écriture), ici c’était surtout la deuxième option. Nous Vivrons est un mélange de témoignages et reportages dans lequel Sfar raconte comment il a vécu le 7 octobre et les mois qui s’en sont suivis, en observant comment le monde occident autour de lui change et réagit, puis en se rendant en Israël pour aller sur terrain et rencontrer les acteurs et témoins principal d’un peuple au cœur de l’attention et des critiques. Nous Vivrons c’est une panoplie incroyables de personnages, des personnes pleins de vie et représentatifs de l’intelligentsia parisienne et israélienne, mais aussi des individus revenant des morts tels que son père et son grand-père, éléments fondateurs de sa pensée et de son judaïsme. Il faudrait peut être prendre plus de recul sur cette œuvre mais elle vaut sûrement le détour à quiconque est intrigué par le sujet !