Suspiria de la Cour des Ténèbres tome 1 : La petite mort
Plate-forme : Bande Dessinée
Date de sortie : 06 Novembre 2025
Résumé | Test Complet | Actualité
Editeur :
Développeur :
Genre :
Bande dessinée
Multijoueur :
Non
Jouable via Internet :
Non
Test par

Nic007


8/10

Scénario : Luca Laca Montagliani
Dessin : Andrea Bulgarelli

Suspiria est la personnification omniprésente de la peur et du désespoir. Elle parcourt la Terre depuis la nuit des temps, traquant et punissant les âmes qui, par pure indolence, ne parviennent pas à échapper à leur destin. Suspiria est toujours accompagnée de sa mère, Santa Muerte, et de ses trois sœurs : Nenia Candelaria, Sudaria et Grimória. Ce sont les Déesses des Ténèbres, les consolatrices de la paix éternelle. Une fureur infernale ointe du Royaume des Ténèbres, une région située dans les profondeurs de la planète, une force cosmologique universelle suspendue dans le temps éternel à travers laquelle cette tétrade infernale se meut à travers les siècles de l'histoire humaine. Un véritable asile de l'univers.

Soyons francs. Suspiria de la Cour des Ténèbres est un roman graphique érotique dont l'intrigue est fortement axée sur l'horreur et le mysticisme. On y trouve des femmes nues, des relations sexuelles, du bondage et tout ce que vous pouvez imaginer. Montagliani nous montre le côté le plus sombre de l'humanité et des femmes victimes de violence qui doivent se battre pour échapper à leur sort. Par moments, ce n'est pas une lecture facile. Suspiria est un roman graphique sensationnel, mais il s'adresse à un public très spécifique. Ce premier volume contient quatre récit, l’édition est de très belle facture, avec une couverture rigide, un papier très agréable au toucher qui met particulièrement en valeur les illustrations. Chaque récit est précédé d’une préface de Montagliani lui-même, dans laquelle il évoque le processus créatif et les idées qu’il souhaitait transmettre. Parmi les quatre récits, seuls le premier et le dernier sont en couleurs partielles. Les autres sont en noir et blanc. Le seul bémol : l’absence d’avertissements concernant le contenu. Oui il s’agit d’un roman graphique érotique abordant des thèmes très explicites, mais certains thèmes sont plus sensibles, comme le viol ou le suicide. Il ne coûte rien d'apposer un petit texte de deux ou trois lignes sur la couverture. La première histoire est celle dont nous avons le plus apprécié les illustrations. Le style de Montagliani sait captiver, peut-être grâce à son choix du noir, du blanc et du rouge comme couleurs dominantes. Cela lui confère une dimension sanglante et infernale qui correspond parfaitement à l'atmosphère qu'il souhaite créer. L'auteur ne cache pas qu'il s'agit d'une bande dessinée mettant en scène des déesses maléfiques poursuivant des esprits soumis qui doivent payer pour leur immobilité. Les décors, empreints d'une malédiction, sont terrifiants. Cette histoire sert d'introduction et présente ces trois sœurs maléfiques ainsi que leurs agissements. La narratrice, Suspiria, nous guide à travers ce jardin de délices. On comprend déjà que Montagliani dissimule des thèmes mystiques et philosophiques tout au long de son récit. On commence à entrevoir où il veut nous mener.

C’est dans la deuxième nouvelle que l’on commence à mieux comprendre ce qui se cache derrière les dialogues. Montagliani nous présente une femme soumise à toutes sortes d’humiliations par une sorte de colonel. Elle et sa mère sont des personnes modestes qui doivent s’humilier pour se nourrir. La seule chose que la protagoniste puisse offrir, c’est son corps : une belle femme aux cheveux noirs. Depuis son plus jeune âge, elle a dû endurer de telles violences. On comprend que le personnage a perdu tout espoir. Elle ne se soucie plus d’avoir une maison propre et rangée, et sa mère vit dans une sorte de grenier étrange. La violence se répète chaque jour, et elle s’est habituée à son « maître » jusqu’au jour où il décide de l’abandonner et de retourner vivre avec sa véritable famille. C’est alors que tout s’écroule pour elle, et elle se retrouve à la dérive, peut-être en quête d’un nouveau « maître ». Le « maître » de la protagoniste est un pasteur, et c’est là que les choses prennent une tournure très critique, révélant l’hypocrisie d’un homme dont il exige des fidèles des valeurs morales. Le seul amour de l'héroïne lui vient d'un homme simple qui l'aide à subvenir aux besoins de sa famille. Un homme sans beauté, mais dont l'amour pour elle est sincère. Suspiria lui apparaît à l'article de la mort, exigeant des explications : pourquoi n'a-t-elle pas pris sa vie et son destin en main ? Elle sera punie par la déesse des ténèbres, mais c'est son inaction qui a rendu le destin inéluctable. Le style de Bulgarelli est principalement en noir et blanc. Il maîtrise parfaitement l'espace et parvient à remplir les cases même lorsqu'elles sont vides. Son art est classique et évoque immédiatement la bande dessinée italienne, ce que j'apprécie beaucoup. Le design de ses personnages est plutôt stylisé. Le design de l'héroïne est magnifique, mais excessif. Les proportions des personnages sont exagérées, et c'est voulu. Suspiria est d'une beauté envoûtante ; une beauté qui captive le lecteur tout en lui rappelant qu'elle est venue lui voler son âme. Ses expressions sont démentes, et Bulgarelli exploite ce côté démoniaque du personnage, faisant d'elle une voix qui prodigue les bons conseils, mais qui laisse aussi le lecteur bouche bée. Les autres personnages sont véritablement odieux, et c'est intentionnel pour illustrer la dureté et la souffrance de l'existence de Suspiria. Deux scènes choquantes étaient celles qui dépeignaient ses débuts dans une vie de violence, où elle perdait une partie d'elle-même, et la manière dont la maison était toujours montrée comme sale et désordonnée, et comment l'art renforçait cette impression.

La troisième histoire explore le monde infernal où vit Suspiria avec ses sœurs. Une sorte de « super-héroïne » fétichiste parvient à envahir le monde des ténèbres avec son complice, Mister Mastermind. Leur but : dérober le Graal de Lucifer. Mais leur invasion est de courte durée, car Suspiria et Nenia les capturent. Dès lors, les déesses cherchent à savoir comment elles ont réussi à pénétrer dans ce monde et imaginent des moyens originaux de les punir. Dans cette histoire, Montagliani explore les idées philosophiques qui sous-tendent les sorts d'amour. Qu'est-ce que cela signifie d'être à la merci d'autrui ? La confiance qui sous-tend cette expérience peut rendre une personne extrêmement vulnérable, et l'excitation que peut susciter cette vulnérabilité. De plus, c'est une expérience partagée par celui qui subit le sort d'amour et par celui qui le jette, qui a le pouvoir de dicter le destin de l'autre. Le style graphique de Saudelli est trop stylisé à mon goût. Cela évoque l'art underground, et pour une œuvre qui explore la sexualité et le thème de la damnation, un style graphique plus abouti serait plus approprié. Ce n'est pas que le dessin soit mauvais, loin de là, mais nous avons simplement trouvé qu'il ne correspondait pas tout à fait à l'histoire. Par exemple, Bulgarelli aurait parfaitement illustré ce récit. Enfin, la dernière histoire explore la relation entre les quatre sœurs. Montagliani nous présente leurs domaines respectifs et leur conception du châtiment des âmes. Bien sûr, ces domaines ne sont pas aussi étanches que dans cette édition. Grimoria remarque que les lettres des damnés disparaissent des archives des Enfers et se demande si un démon ne lui joue pas un tour. Pendant ce temps, Nenia s'amuse avec quelques âmes condamnées dans l'Arbre de la Douleur. Tout au long du récit, les personnalités de Nenia et Sudaria se dessinent. Si Sudaria est une bureaucrate des Enfers presque démente, Nenia est plus sadique et aime imaginer des châtiments créatifs pour ceux qui sont sous son joug. Nous en avons eu un aperçu dans l'histoire précédente. Sudaria, quant à elle, incarne le châtiment silencieux et, de ce fait, est plus cruelle, laissant le choix du châtiment à l'imagination de sa victime. Il y a une petite querelle entre les sœurs, mais elle se résout facilement. Autrement dit, c'est une histoire qui vise à explorer plus en profondeur l'univers créé par Montagliani. Le style d'Andrea Jula ne nous a pas totalement convaincu, mais nous avons apprécié l'expressivité de ses personnages. Il s'attarde beaucoup sur les expressions faciales et les petits gestes, comme le regard, les lèvres, un mouvement de tête ou un haussement d'épaules. Le dessin des corps, en revanche, se rapproche davantage du style exagéré de Bulgarelli. Cela fonctionne très bien pour cette histoire, car le récit se déroule entièrement dans l'univers des quatre sœurs. La mise en page est également assez simple, avec une ou deux cases par page. Le résultat est parfois glaçant. Vraiment. Il y a une scène où plusieurs hommes et femmes nus, perchés sur un arbre de la douleur, subissent les châtiments de Nenia, d'une étrange jouissance.

VERDICT

-

Cette première édition sert d'introduction à l'univers de Suspiria. Vous serez peut-être captivé, ou au contraire, vous ne voudrez plus jamais y toucher. Derrière la folie érotique proposée par Montagliani se cache une profondeur insoupçonnée. On y trouve des réflexions sur l'inertie, l'émancipation, la violence, la soumission. Il y a même un chapitre consacré à la philosophie du sadomasochisme. Ce sont des thèmes assez inattendus dans cette BD. Le style graphique est très inégal, il est donc difficile de lui attribuer une note parfaite, car certaines histoires vous plairont plus que d'autres.

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